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Les causes de la crise des abus : les attaques contre la doctrine, le Saulchoir et les réhabilitations post-conciliaires


Le rapport qui dérange sur une situation qui perdure encore en 2023


Ecrit par Jaime Vladimir Torres-Heredia Julca (*)


Version 1 du 27 octobre 2023


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Les nouvelles sur les abus sexuels au sein de l’Église Catholique se succèdent encore en 2023. Il y a deux mois on apprenait aussi ce qui s’était passé en Suisse, où même plusieurs évêques sont mis en cause pour dissimulation d’abus (https://www.cath.ch/newsf/eveques-suisses-sous-enquete-pour-dissimulation-dabus/). Beaucoup se demandent pourquoi tout cela est arrivé, et pourquoi il y a eu encore des fautes ces dernières décennies alors que l’Église avait beaucoup amélioré le traitement des cas. Le but de cet article est d’expliquer comment les attaques contre la doctrine ont conduit à cette situation. Le but est surtout de faire des liens entre plusieurs événements clés arrivés depuis la seconde moitié du XIXe siècle. Je présente assez rapidement ces événements en rappelant brièvement comment ils ont contribué à créer une situation de désordre au sein de l’Église. Pour chacun de ces événements il y a eu déjà beaucoup de livres et des rapports écrits et je donne aussi quelques références. Je fais des liens entre eux.


Le pape émérite Benoît XVI avait expliqué en 2019 que la crise des abus était causée par des attaques contre la doctrine catholique en matière de morale sexuelle (https://terredecompassion.com/2019/04/18/texte-du-pape-emerite-benoit-xvi-sur-la-crise-des-abus-dans-leglise/). L’opposition à la doctrine crée une atmosphère de permissivité qui n’est pas bonne pour l’Église. Et, en fait, les attaques contre la doctrine ont commencé au moins au début du XXe siècle.


Mais auparavant l'Eglise n'avait pas écouté les avertissements sur ces problèmes donnés, durant le XIXe siècle, par la voyante Mélanie Calvat. Avec Maximin Giraud, elle a vu la Vierge Marie qui leur a donné des messages et des secrets à La Salette (France). Les messages révélés en 1846 ont été pleinement reconnus par l'Eglise, mais le «Secret de la Salette» reçu par Mélanie, et révélé en 1858, a reçu énormément de rejet par des évêques français chargés de l'enquête sur les apparitions, parce qu'il dénonçait les péchés des prêtres avec des termes très durs. Dans ce secret, jamais condamné par le Vatican, la Vierge Marie demandait de faire attention dans les communautés religieuses. En effet le démon ferait tout pour y faire entrer des personnes adonnées au péché car «les désordres et l’amour des plaisirs charnels seront répandus par toute la terre». Elle parlait d'une «crise affreuse» dans l'Eglise dans un certain avenir (Cf. Laurentin R, Corteville M., «Découverte du Secret de La Salette», Fayard, mai 2002).


Les attaques contre la doctrine se sont faites de plusieurs manières. Dans le cadre de ce qu’on appelait «la crise moderniste» (https://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_moderniste) on tentait, par exemple, au nom de considérations d’ordre historique, de diminuer voire nier la réalité de certains événements connus à travers la Tradition. Par exemple Alfred Loisy affirmait que la résurrection du Christ n’était pas un fait historique mais relevait seulement de la foi, contrairement à ce qu’affirme la Tradition. Le pape Saint Pie X avait déjà agi pour remettre de l’ordre avec son encyclique Pascendi Dominici gregis (1907). Mais par la suite les attaques ont repris sous d’autres formes.


Une autre attaque consistait à mettre l’accent sur les réalités de la vie humaine, sur l’histoire et à diminuer le rôle des dogmes et de la systématisation théologique. Dans ce sens en 1937 le dominicain Marie-Dominique Chenu, régent du lieu d’études appelé Le Saulchoir (https://fr.wikipedia.org/wiki/Centre_d%27%C3%A9tudes_du_Saulchoir), publia une plaquette intitulée «Une école de théologie : le Saulchoir», qui avait provoqué une réaction de la part du Vatican ( https://www.cairn.info/revue-des-sciences-philosophiques-et-theologiques-2014-2-page-261.htm). Marie-Dominique Chenu dut abandonner sa charge de régent et sa plaquette fut mise à l’Index.


Une autre manière de s’attaquer à la doctrine était de critiquer la philosophie scolastique, qui secondait la théologie depuis des siècles, suite à l’œuvre de Saint Thomas d’Aquin. Rappelons que la voie scolastique consiste à étudier la philosophie et la théologie de Saint Thomas d’Aquin d’abord à travers des manuels qui présentent la philosophie de manière systématique, et en tenant compte des apports des commentateurs et de l’état des sciences du moment, ce qui n’exclut pas de lire ensuite les sources comme Aristote ou l’œuvre de Saint Thomas d’Aquin. En fait ces manuels sont des préparations à la lecture des sources. Une bonne partie des membres du Saulchoir se sont livrés à cette critique.



D’autres attaques contre la doctrine se sont faites au nom d’expériences mystiques. C’est le cas du dominicain Thomas Philippe, qui était aussi enseignant au Saulchoir. Son histoire a été largement médiatisée ces dernières années (https://www.la-croix.com/Religion/affaire-jean-vanier-freres-philippe-secte-eglise-abus-sexuels-arche-enquete-2023-01-30-1201252932). Au nom de justifications mystiques, il s’est permis de ne pas respecter les enseignements en matière de morale sexuelle au sein de l’Église. Il faisait cela de manière occulte.


Le cas du père Thomas Philippe est assez particulier et il montre la complexité de ce qui s’est passé durant le XXe siècle. En effet, il se présentait ouvertement plutôt comme défenseur de la doctrine et de la Tradition, au point que le Vatican l’avait nommé régent au Saulchoir, en 1942, pour remplacer Marie-Dominique Chenu, suite à l’affaire de la plaquette (https://journals.openedition.org/dominicains/1475).


Une autre manière d’attaquer la doctrine est de mettre trop l’accent sur l’affectivité. A cause de cela, on peut négliger les normes de l’Église. C’était le cas du dominicain Marie-Dominique Philippe, frère de Thomas Philippe. Il avait été enseignant au Saulchoir et aussi à l’Université de Fribourg (Suisse) Il avait était condamné par Rome dans les années 1950, entre autres à cause d’«une direction spirituelle considérée comme trop mariale et affective dans plusieurs monastères» (https://www.cath.ch/newsf/fribourg-le-pere-marie-dominique-philippe-cachait-bien-son-jeu/).





Une autre manière d’attaquer la doctrine est de dire qu’elle empêche l’union avec d’autres chrétiens. Dans ce sens le dominicain Yves Congar, enseignant au Saulchoir, publia «Vraie et fausse réforme dans l’Église» en 1950. Cet ouvrage provoqua une réaction du Vatican et il fut interdit de réédition et de traduction (https://www.cairn.info/revue-des-sciences-philosophiques-et-theologiques-2021-4-page-705.htm). Il lui était aussi reproché d’accorder trop d’importance à l’«expérience religieuse» par rapport au «caractère objectif de la Révélation et des formules dogmatiques» ( https://www.cath.ch/newsf/yves-congar-et-les-papes-du-desaccord-a-lentente-cordiale-3-3/ ). Ce reproche est proche de ceux qu’on faisait au dominicain Marie-Dominique Chenu.


Une autre manière d’attaquer la doctrine est de critiquer un supposé «juridisme» au sein de l’Église. Yves Congar critiquait aussi le «juridisme» romain. Ce qui est visé là est notamment le droit qui permet de sanctionner les écarts face aux normes de l’Église. Yves Congar mettait plutôt l’accent sur la communion (la notion de communion en ecclésiologie) et il écrivait, par exemple : « Le droit est une forme extérieure, il institutionnalise et fixe une forme du passé et enchaîne ainsi l’Esprit, qui est liberté […] Il est créateur d’une obligation différente de l’obligation qui naît de l’amour. » (https://www.cairn.info/revue-des-sciences-philosophiques-et-theologiques-2010-2-page-309.htm).




En 1950, face à tous ces problèmes, le pape Pie XII publia l’encyclique «Humani generis» où il mettait en garde, entre autres, contre un «irénisme imprudent». Cet encyclique mettait en garde aussi contre l’influence de certaines philosophies dont l’existentialisme et rappelait l’importance de la philosophie thomistes pour les prêtres.


Mais beaucoup change considérablement à partir de 1959. Le pape Pie XII décède le 9 octobre 1958 et le pape Jean XXIII est élu le 28 octobre de la même année. Le 25 janvier 1959 il convoque le deuxième Concile du Vatican. S’ensuit alors une période de changements et beaucoup de personnes qui avaient été condamnées sont tout à coup réhabilitées : Marie-Dominique Chenu, , Yves Congar, Marie-Dominique Philippe, etc. Même le père Thomas Philippe agit avec assez de liberté, il n’est plus menacé par des sanctions.


Or, on connaît la suite de cette histoire qui a engendré de la permissivité : le père Thomas Philippe a eu de l’influence dans des communautés comme l’Arche ou les Béatitudes, où il y a eu des affaires d’abus sexuels. Le père Marie-Dominique Philippe a fondé la Communauté Saint-Jean où il y a eu des dérives et des abus sexuels.


Pourquoi ces réhabilitations ont eu lieu ? Dans un article du site cath.ch on lit : «Pour Florian Michel, l’avènement du pape Jean XXIII et l’annonce de la convocation du Concile Vatican II poussent le Saint Office à se montrer moins rigoureux dans ses condamnations. Quelques semaines après Marie-Dominique Philippe, les Pères de Lubac et Congar, religieux français comme lui, sont ainsi réhabilités: un conservateur pour deux progressistes.» (https://www.cath.ch/newsf/fribourg-le-pere-marie-dominique-philippe-cachait-bien-son-jeu/). Et dans le livre «La Trahison des Pères» de Céline Hoyeau, à la page 225, on lit : «Le Concile a choisi la décentralisation et remis le pouvoir aux évêques, y compris celui de sanctionner, mais ceux-ci «n’ont pas su faire car l’Église est passée d’un modèle hiérarchique autoritaire à un modèle de «communion de personnes» dans lequel il fallait tout faire pour se mettre d’accord, souligne le canoniste Emmanuel Boudet.».


Or, justement, ce modèle de «communion de personnes» a vu le jour en bonne partie à cause l’influence de l’œuvre d’Yves Congar, réhabilité… D’ailleurs dans la nouvelle préface à son livre «Vraie et Fausse réforme dans l’Eglise» (Editions du Cerf, 1968) il écrit : «Nous n’avons pas fini de dérouler les conséquences des démarches ecclésiologiques faites par Vatican II: dépassement d’une ecclésiologie de pure « hiérarchiologie » et dénonciation du juridisme (non, bien sûr, ignorance du Droit!)(...)». Même s’il ne parle pas d’annuler complètement le droit, il se félicite du relâchement juridique.


Dans une interview du canoniste Cyrille Dounot, dans le site Homme nouveau, on lit : «L’idée, dans l’air du temps et rappelée par Jean XXIII au début du concile, qu’il fallait cesser de condamner les doctrines erronées a rejailli sur toutes sortes de condamnations, perçues comme contraires au « printemps » ou à l’aggiornamento, à un état d’esprit prétendument charitable. Or la charité consiste justement à rendre justice, et à condamner les fauteurs de trouble, que les troubles arrivent par les discours et les théories ou par les agissements. « (https://hommenouveau.fr/affaire-philippe-et-vanier/).


Une bonne partie de ces personnes réhabilitées avaient étudié et/ou enseigné au Saulchoir. Cela ne veut pas dire que toutes les personnes ayant été au Saulchoir étaient problématiques. Un bon exemple est le père Reginald Garrigou-Lagrange qui fut enseignant au Saulchoir pendant quelques années. Et en fait il a beaucoup défendu la doctrine à Rome et signalait les problèmes posés par des théologiens du Saulchoir. Mais il faut quand même se pencher sur ce qui s’y est passé car il y a eu quand même beaucoup d’oppositions au Magistère dans ce lieu d’études. Le Saulchoir n’a pas été le seul lieu où il y avait des oppositions au Magistère, bien sûr. Il y a aussi, par exemple, le scolasticat de Fourvière où enseignait le jésuite Henri de Lubac, aussi réhabilité à la fin des années 1950 (https://www.cath.ch/newsf/le-cas-henri-de-lubac-1-2/ et Cf. Don Andrea Mancinella «1962 Révolution dans l’Église -

Brève chronique de l'occupation néo-moderniste de l'Eglise catholique»). Mais aussi dans ce cas il y a eu des liens avec le Saulchoir car Yves Congar avait publié un livre de Henri de Lubac (https://www.cath.ch/newsf/le-pere-congar-du-saulchoir-a-rome-itineraire-dun-theologien-controverse-1-3/).


Bien sûr, la situation est complexe et au cours des décennies qui ont suivi le Concile, les différents papes ont fait des efforts pour mettre de l’ordre face aux dérives post-conciliaires. Il y a eu des documents intéressants pour mettre de l’ordre en matière de dogmes, en rappelant les critiques contre la théologie moderniste (par exemple «L’interprétation des dogmes», 1989, https://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/cti_documents/rc_cti_1989_interpretazione-dogmi_fr.html). Dans son encyclique «Fides et Ratio» Saint Jean-Paul II continue à rappeler l’importance de la philosophie thomiste (et de la scolastique) et à mettre en garde contre les philosophies incompatibles avec la doctrine catholique, à la suite du pape Pie XII. La Congrégation pour la Doctrine de la Foi, notamment sous le cardinal Ratzinger, a beaucoup fait pour lutter contre les dérives, notamment celles de la théologie de la libération.


Mais en même temps les attaques contre la doctrine continuent en 2023 dans beaucoup de milieux catholiques. Ces attaques font notamment appel à des considérations existentialistes pour diminuer le rôle de la doctrine. C’est le cas notamment des thèses issues de l’œuvre du jésuite Karl Rahner (https://lesalonbeige.fr/le-synode-des-eveques-et-linfluence-de-karl-rahner/). Et ces attaques sont liées à des tentatives pour changer l’enseignement du Magistère en matière de morale sexuelle, notamment en ce qui concerne les actes homosexuels. Et des attaques ressemblent beaucoup aux attaques qu’on trouvait dans les écrits de Marie-Dominique Chenu, Yves Congar, etc. Par exemple, beaucoup de religieux rejettent encore la scolastique, etc. Cela conduit beaucoup de catholiques à ne pas être bien armés face aux attaques de la post-modernité et de son relativisme. Et même certains catholiques pensent qu’on peut accepter les idéologies du genre.


Parfois, comme l’a fait Saint Paul (Epître aux Galates), il faut signaler les problèmes qui se passent au niveau de la papauté. Et malheureusement la nomination de Víctor Manuel Fernández (2023) comme préfet du Dicastère pour la Doctrine de la Foi est très problématique. Il est accusé d'avoir protégé un prêtre abuseur en Argentine et de ne pas avoir respecté les enseignements du Magistère (https://www.benoit-et-moi.fr/2020/2023/07/06/ombres-sur-le-prefet-ou-larroseur-arrose/ ) dans le passé. Il y a eu une manifestation à Rome pour réclamer qu'il soit démis de sa fonction de préfet et qu'il ne soit pas fait cardinal (https://catholicherald.co.uk/abuse-survivors-demand-resignation-of-totally-inappropriate-fernandez/). Lors de cette manifestation il y avait l'une des victimes de ce prêtre protégé.

Il y a quelque jours ces mêmes personnes ont parlé même de "génocide" et ont demandé de l'aide à l'ONU (https://www.swissinfo.ch/fre/toute-l-actu-en-bref/des-victimes-d-abus-en-appellent-%C3%A0-l-onu-face-%C3%A0-un--g%C3%A9nocide-/48857322). Bien sûr, il ne faut exagérer, il ne s'agit pas de "génocide" et l'ONU qui promeut les idéologies du genre et l'avortement n'est pas vraiment une aide. Par contre il faut prendre au sérieux ce qui concerne le nouveau cardinal et préfet du Dicastère pour la Doctrine de la Foi.
En ce temps de crise dans l'Eglise, le Dicastère pour la Doctrine de la Foi doit être dirigée par une personne qui respecte l'enseignement du Magistère et qui a bien traité les cas d'abus.


Et il faut aussi déplorer que dans une lettre adressée au nouveau préfet, le pape François écrive : «En tant que nouveau préfet du Dicastère pour la Doctrine de la Foi, je vous confie une tâche que je considère très précieuse. Son objectif central est de veiller sur l’enseignement qui découle de la foi afin de « donner des raisons à notre espérance, mais pas comme un ennemi qui critique et condamne » « (https://fr.zenit.org/2023/07/03/lettre-du-pape-au-nouveau-prefet-de-doctrine-de-la-foi/). Etant donné tout ce qui s’est passé ces derniers 60 ans, il faut plutôt pouvoir critiquer et même condamner les déviances doctrinales. Et quand on signale les déviances, c’est pour le bien de la personne.


Il faut rappeler et rappeler encore que l’opposition aux enseignements du Magistère est à l’origine de la crise des abus sexuels. Il faut le comprendre pour mettre fin à une crise qui fait beaucoup de mal à L’Église.


Bref, voilà pourquoi il faut protéger la doctrine et le droit et maintenir les sanctions. Le relâchement est risqué. Et la doctrine ne doit pas être vue comme écrasante mais comme éclairante. Elle éclaire le chemin des gens, des chrétiens. Comme le dit le Catéchisme de l’Église Catholique, la loi morale conduit les gens vers la béatitude éternelle.




(*) Jaime Vladimir Torres-Heredia Julca est diplômé en philosophie de l’Université de Genève (2006). Il a également étudié le latin et l’informatique. Pendant ses études il s’est spécialisé en philosophie grecque et médiévale. Par la suite, il a continué en pratiquant la philosophie scolastique contemporaine. Depuis l’année 2013 il étudie de manière systématique la théologie catholique. Il est également chercheur en mathématiques et programmeur informatique. Plusieurs de ses recherches ont été publiées depuis l’année 2005

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